L'AVANT-SCENE 1995
L'AMANDIER 2007 Les Séductions Espagnoles IV
Sorte de Faust du siècle d'or espagnol, mais ici il s'agit d"'un prêtre qui pactise avec le diable pour posséder une femme et l'arracher à son fiancé, cette commedia est ramenée par Goethe du paradis, qui n'est qu'un grand théâtre, au professeur français au nom prédestiné Ambroise Toussaint Faustus, dans un jardin de Paris… Ce professeur spécialiste du "démoniaque" devra faire l'expérience du "démonique" par l'art du théâtre.
"C'est curieusement au cours de recherches sur Don Juan et Carmen, et sur le théâtre du siècle d'or (Lope, Calderon, Tirso…) que Louise Doutreligne est "tombée" sur cet "Esclavo del demonio". A la lecture de cette remarquable tragi-comédie de Mira de Amescua, des entretiens d'Eckerman et Goethe et de longues recherches en Espagne, l'idée vint à Louise Doutreligne d'enchâsser cette "perle" du siècle d'or dans un dialogue d'aujourd'hui, quasi surréaliste, ente Goethe lui-même revenant du ciel et son personnage Faustus. Et c'est alors une délicieuse démonstration de l'art du théâtre comme expérimentation d'une pensée vivante sur les délicats équilibres entre le bien et le mal, le passé et la modernité… entre le vrai et le faux… dans un décor évoquant les méandres et spirales de cette pensée, le corral de commedia du siècle d'or, montagnes et palais.."
Jean-Luc Paliès
… un Mephisto revu et corrigé par Doutreligne, un Faust moins "raisonnable", moins métaphysique, moins cérébral… plus charnel et sensuel...
A. T. Faustus Nous verrons, nous verrons... ou je l’intégrerai dans mes mémoires peut-être...
Angelia (tout sourire) Vos mémoires, monsieur Faustus ? Vous voulez écrire vos mémoires à quarante ans ?
A. T. Faustus Merci Angelia ! Quarante-cinq ans bien tassés tout de même ! Et tant d’années passées à tourner autour de... vous souriez ?
Angelia Non non.
A. T. Faustus Si vous souriez. Je le vois bien vous souriez. Tant d’années enfermé entre bouquins et poussière à dériver autour de quoi, je vous le demande !... Hé bien ?
Angelia Pardon ?
A. T. Faustus Je vous le demande ! Vraiment je vous le demande. Je tourne autour de quoi ? (Silence) Ou si vous préférez c’est quoi au juste mon sujet ?
Angelia Mais... Je... Je ne sais pas.
A. T. Faustus Comment vous ne savez pas ? Vous tapez mes textes, vous prenez mes notes, vous suivez mes pensées, mes cours, mes discours et vous ne savez pas ? Vous êtes une jolie caisse enregistreuse quoi ? Voilà point. Pas de pensée, pas de réflexion, pas d’ennui n’est-ce pas ? C’est cela ? Donc vous ne savez pas sur quoi je travaille ? Vous ne connaissez pas l’objet de ma recherche ?
Angelia Si... Bien sûr... Naturellement... (Elle sourit bizarrement) mais pour le définir sans vouloir paraître naïve...
A. T. Faustus Mais je le serai moi, naïf, je le serai ! Je travaille sur le diable, vous entendez Angelia, charmante jeune femme au doux prénom d’ange LE DÉMON !... Cette chose qui vous fait sourire, que vous imaginez désuète, dépassée mais détrompez-vous... mon traité s’appellera « Le Démonique et Le Démoniaque » oui !... ou inversement puisque Gœthe déjà... enfin passons... (Angelia semble entendre un bruit, elle se déplace) Et vous, jeune femme qui ne croyez plus à rien, vous m’avez suivi dans ce parc, avec votre sourire et votre jupe fendue !
( ... )
GOETHE (désigne Angelia)
Cette jeune femme au regard brillant ne me dit rien qui vaille... Prenez-y garde ! ... Cher Maître...
FAUSTUS (ébahi)
Mais j’attendais... J’avais rendez-vous avec ... Je... ce costume... ce... (Il désigne Plàcido)... Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ?... Angelia ?... Qu’est-ce que c’est que ce fatras d’apparitions pour collégiens comme si...
GOETHE
Calmez-vous. Regardez-moi et reconnaissez-moi !
FAUSTUS
Je vous vois, je vous ai vu, j’ai compris ! Oui, la prestance de Gœthe, le costume de Gœthe, le portrait de Gœthe, la médaille de Gœthe, et alors ?... Qu’est-ce que cela veut dire ?
GOETHE
Que je suis Wolfgang von Gœthe ! C’est tout !
ANGELIA
Acceptez, professeur.
GOETHE
Écoutez-la. Acceptez. Qu’est-ce que vous risquez, il n’y a pas de témoin, vous êtes ici, le soir tombe, vous aviez rendez-vous avec un éminent chercheur allemand et j’arrive !... Quel mal y a-t-il à cela que diable ! (Gœthe est presque pris d’un fou rire) Oh pardon ! Allons un peu de courage, cher Maître !
FAUSTUS
C’est du délire ! Et c’est vous qui m’appelez Maître !
GOETHE
Il est juste que tout se retourne et qu’un jour, le Maître devienne l’élève... Vous êtes en quelque sorte ma créature ?... Mon personnage, non ? Avec ce nom incroyable, Ambroise Toussaint Faustus !..
.
FAUSTUS
Écoutez... Je ne comprends pas... Comment... D’où venez-vous avec ce déguisement... et ce...
Il désigne Plàcido.
GOETHE
De là-bas évidemment !... De là-bas, quelle question ! (À Plàcido) Ouvre cette valise... j’ai voulu venir avant que votre traité « Le Démonique et le Démoniaque », c’est cela ? — Quel titre, vraiment !— n’accumule trop de sottises !...
FAUSTUS
Mais vous-même… Excusez-moi puisque vous prétendez être Gœthe, à propos du Démonique justement...
GOETHE (baissant la voix et se rapprochant)
Dites-moi, cette jeune femme ?
FAUSTUS
Mon adjointe ? Angelia ?
GOETHE
Oui, intéressante, intéressante... Vous savez qu’à plus de soixante-dix ans, j’ai failli ruiner ma santé, un été à Marienbad, pour une jeunesse !
FAUSTUS
Non non. Non, détrompez-vous, il ne s’agit pas du tout d’une nouvelle affaire Marguerite ! C’est bien plus complexe que cela !
GOETHE
Méfiez-vous, soyez prudent !... Alors... c’est l’autre que vous vous attendiez à voir arriver ?
FAUSTUS
L’autre ?
GOETHE
J’aime surgir quand c’est un autre — le démon par exemple — qu’on attend.
FAUSTUS
Le démon, quelle plaisanterie, pas du tout ! J’ai rendez-vous avec un éminent collègue étranger, d’un laboratoire allemand concurrent, un professeur que je ne connais pas bien ! Je n’imaginais pas que c’était un plaisantin… qu’il me ferait le coup de Goethe en quelque sorte... mais comme il est extrêmement urgent que je lui parle, je vais procéder à une petite vérification...
GOETHE
Inutile, je peux entendre ce que vous avez à lui dire ! (Angelia revient plus près d’eux) Et la charmante demoiselle aux chastes petites oreilles veut sans doute aussi entendre...
FAUSTUS
Elle est là pour enregistrer, prendre les notes.
GOETHE
Les notes, bien sûr ! Mais elle a cette sorte de regard fait pour écouter, non ? (Il fait un signe à Plàcido) Avant cela, un peu de vin, un peu de vin d’Espagne ! (Plàcido sort de la valise des coupes et il commence à les remplir de vin) J’ai gardé ces coupes en souvenir de l’amour que j’avais pour les pique-niques... Ah ces repas improvisés au flanc des collines !... Mais lui, (Il montre Plàcido) c’est un ami, un rival, un collègue qui me l’a donné... Calderón !... Vous connaissez ?... Et bien depuis je ne peux plus m’en séparer (Plàcido sourit aux anges en offrant les coupes de vin) À votre santé !... (Ils boivent) Alors ces révélations, on peut les entendre ?
Jean-Luc Paliès pioche dans l’art espagnol, le surréalisme, les toiles de Watteau et dans tout ce qui peut servir l’esthétique d’un sujet qui prête à l’allégorie. Sa mise en scène est comme d’habitude un luxe de trouvailles et de citations.
Gérard Biard - CHARLIE-HEBDO
Tout dans ce spectacle est alléchant : l’Espagne, le Siècle d’Or, le thème faustien et flamboyant qui se décèle dans le titre...
Frédéric Ferney - LE FIGARO
Grâce au travail de Louise Doutreligne voici révélée dans un spectacle tout de surprises et de mouvement la pièce l’Esclave du Démon. Les jeux d’ombre et de lumière, de masques et de miroir font naître une atmosphère de désirs, de meurtre et de quête sublimée traversée par un fascinant démon, Claudine Fiévet.
Roger Maria - L’HUMANITE
Les explorations littéraires de Louise Doutreligne ont abouti à cette tragi-comédie hispanique qui a conquis un public qui a pu apprécier le baroque du décor où les ciels belges à la Magritte cohabitent avec des courbes à la Gaudi sans oublier le balcon “el amor a la reja”. Toute l’Europe était là.
LA NOUVELLE REPUBLIQUE NIORT
Coups de théâtre, rebondissements, trahisons, travestissements, le texte et la mise en scène tiennent du roman de cape et d’épée autant que de la réflexion initiatique. Tout finit par une question : que faire de sa vie ?
Armelle Héliot - QUOTIDIEN DU MÉDECIN